La contestation croissante de l’accord entre l’UE et Israël ira-t-elle jusqu’à sa suspension ?

La contestation croissante de l’accord entre l’UE et Israël ira-t-elle jusqu’à sa suspension ?


Les échanges commerciaux entre l’UE et Israël s’élèvent chaque année à 46,8 milliards d’euros. 


L’accord d’association entre l’Union européenne et Israël pourra-t-il tenir au vu de la situation humanitaire dans la bande de Gaza ? 
Plusieurs pistes juridiques semblent indiquer que la coopération entre les deux parties pourrait être suspendue.

La rupture unilatérale le 17 mars 2025 de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, qui avait permis la libération de 25 otages échangés contre 1 800 détenus palestiniens, s’est traduite par des frappes indiscriminées sur des civils et par un strict blocus alimentaire de Gaza.

De nombreuses ONG se sont alors jointes à Amnesty International, qui avait, dès le 5 décembre 2024, qualifié les opérations armées sur Gaza de « génocide », suivie dès le 19 décembre par Human Rights Watch et Médecins sans frontières.

Dans ce contexte, le blocage de toute aide alimentaire par le gouvernement Nétanyahou le 2 mars a décidé les Pays-Bas à demander à la Commission européenne, le 8 mai, de revenir sur l’accord d’association entre l’UE et Israël. Le 11 mai, le ministre français des affaires étrangères a jugé cette démarche « légitime ».
C’est ainsi que, pour la première fois, le sujet s’est retrouvé sur la table du Conseil européen des affaires étrangères du 20 mai 2025.
Un accord favorable à Israël

L’accord UE-Israël de stabilisation et d’association signé en 1995 et entré en vigueur en juin 2000 constitue la base légale des relations commerciales entre les États membres et Israël.
Il prévoit une suppression progressive des droits de douane sur les biens industriels, et des accords préférentiels sur certains produits agricoles et alimentaires. La coopération entre l’UE et Israël s’étend également aux domaines scientifique et technologique, notamment via le programme Horizon Europe, doté de plus de 95 milliards d’euros pour la période 2021-2027.

En 2025, l’UE est de loin le principal partenaire commercial de l’État hébreu, tout en étant le premier donateur d’aide au développement à la Palestine (environ 1,2 milliard d’euros par an pour l’ensemble des pays membres, dont 300 millions gérés directement par Bruxelles). Ce partenariat est toutefois fortement déséquilibré. 

En effet, le montant des exportations européennes vers Israël représente moins de 1 % des exportations totales de biens de l’UE, tandis que 24 % des exportations israéliennes ont les Vingt-Sept pour destination (31 % de ses importations proviennent de l’Union).

Les 46,8 milliards d’euros d’échanges commerciaux UE-Israël se décomposent en 17,5 milliards d’euros pour les biens importés par l’UE et 29,3 milliards d’euros pour ceux importés par Israël. Les exportations israéliennes vers l’UE concernent principalement les produits pharmaceutiques, les équipements technologiques, les composants électroniques et les produits agricoles. En retour, l’UE exporte vers Israël des machines, des produits chimiques, des véhicules et des biens industriels.
Une difficile identification de l’origine des produits

Il est important de relever que cet accord exclut explicitement les produits issus des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est et sur le plateau du Golan, conformément aux positions de l’UE sur le droit international.
Mais concrètement, il est très difficile pour les Européens d’identifier l’origine exacte des produits importés, comme nous l’avions documenté dans ces colonnes en 2021, ce qui contrevient à la résolution 2334 de 2016 du Conseil de sécurité de l’ONU sur l’illégalité de l’occupation israélienne des territoires palestiniens, ainsi qu’aux obligations du droit international humanitaire.

L’avis consultatif rendu par la Cour internationale de justice (CIJ) le 19 juillet 2024 a encore accru la pression sur l’UE en qualifiant les pratiques israéliennes d’annexion du territoire palestinien et de formes graves de discrimination raciale. 
Ce faisant, la Cour a rappelé les obligations des États tiers face à ces situations illicites en enjoignant explicitement aux États de « prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le Territoire palestinien occupé ».

Cet avis a été suivi d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 18 septembre 2024, exigeant la fin de la présence illicite d’Israël dans les territoires palestiniens occupés au plus tard dans les 12 mois, adoptée par 124 voix pour 14 contre (dont deux pays de l’UE : la Hongrie et la République tchèque) et 43 abstentions.

Des engagements sur le respect des droits.

Initialement l’accord d’association devait permettre d’accompagner le processus de paix lancé en 1993, l’Europe s’engageant à aider l’Autorité palestinienne à jeter les bases de son futur État. Le texte précise clairement dans son article 2 que « les relations entre les parties, ainsi que toutes les dispositions de l’accord lui-même, sont fondées sur le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, qui guide leur politique intérieure et internationale et constitue un élément essentiel du présent accord ».

Or, les gouvernements israéliens successifs n’ont jamais pris en compte ces engagements et l’occupation illégale du territoire palestinien, la colonisation et la captation des terres palestiniennes n’ont fait que s’accroître sans que ni les pays européens ni la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, ne le remettent en cause.

C’est pourquoi la décision du 20 mai 2025 du Conseil des ministres des affaires étrangères de l’Union, prise à la majorité de 17 des 27 représentants, de réexaminer l’accord de coopération est historique et marque une inflexion de l’UE.

La suspension de l’accord d’association UE-Israël dans son ensemble ne viendra sans doute pas de sitôt, car elle nécessiterait l’unanimité au sein du Conseil, ce qui est exclu aujourd’hui du fait notamment du blocage systématique de la Hongrie. En revanche, la suspension du volet commercial de l’accord est envisageable à terme car il suffit pour cela de la majorité qualifiée, soit par 15 États membres représentant au moins 65 % de la population de l’Union.
Un vrai risque de complicité de génocide

Mais la menace la plus sérieuse qui plane sur l’accord est liée aux risques de complicité de génocide, d’autant que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a explicitement exprimé sa volonté de « détruire l’enclave, d’entasser sa population dans le sud puis de la déporter vers des pays tiers ». 

Or, l’article 1er de la Convention sur le génocide fait obligation à tous les États membres de prévenir les génocides et d’en punir les auteurs. Sur ce fondement, l’association française Jurdi a engagé une action contre la Commission européenne pour manquement à son obligation d’agir face au risque avéré de génocide à Gaza.

À défaut des États membres, c’est donc la justice de l’Union qui pourrait suspendre l’accord. Dans l’attente d’un jugement définitif, la prévention d’un génocide s’imposant à tous au nom du principe Erga omnes, les entreprises européennes et leurs dirigeants vont devoir évaluer les potentielles conséquences pénales de leurs opérations avec Israël.

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