Exclusif : La justice française ouvre une enquête pour corruption et blanchiment contre Nagib Mikati !
Politique - Crimes financiers.
Exclusif : La justice française ouvre une enquête pour corruption et blanchiment contre Nagib Mikati !
Le parquet national financier a pris cette décision suite à une plainte déposée en avril 2024 et complétée en 2025 par des associations anti-corruption.
Publié le 14 septembre 2025
L'ancien chef du gouvernement libanais, Nagib Mikati, lors de la réunion du cabinet le 19 mars 2024. Photo Bureau de presse de l'ex-Premier ministre.
L'ancien Premier ministre libanais Nagib Mikati est dans le collimateur de la justice française.
Le Parquet national financier à Paris (PNF) a ouvert durant la semaine écoulée une enquête préliminaire sur la base d’une plainte d’associations anticorruption, a appris un journaliste du Moyen-Orient de sources proches du dossier.
En avril 2024, l’association française Sherpa et le Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban (CVPFL), qui regroupe des déposants lésés par la rétention illégale de leurs avoirs, avaient déposé cette plainte pour « blanchiment d’argent », « recel », « association de malfaiteurs » en bande organisée contre M. Mikati, son frère Taha et plusieurs membres de leur famille. « L’origine de mon patrimoine familial est entièrement transparente et légitime », s’était défendu dans un communiqué, avant même la sortie de l’information par l’AFP, le Premier ministre sortant à l’époque, ajoutant avoir « toujours agi dans le strict respect des lois ».
Un an plus tard, les deux plaignants ont transmis au parquet un complément d’information décrivant plus en détail les conditions présumément frauduleuses dans lesquelles la famille Mikati a pu acquérir son patrimoine en France et à l’étranger, parfois avec l’appui d’intermédiaires, et pouvant constituer des infractions à même de justifier des poursuites en France.
Des éléments finalement jugés « suffisants pour franchir le seuil des présomptions et justifier l’ouverture d’une enquête pour des infractions d’une gravité extrême, notamment en matière de blanchiment », dit, dans un entretien express accordé à L'OLJ, l’avocat et fondateur de Sherpa, William Bourdon.
Parmi les actifs recensés par les plaignants figurent des biens immobiliers en France , notamment à Paris et sur la Côte d’Azur, ainsi qu’à Monaco et à Saint-Jean-Cap-Ferrat, au nom de M. Mikati et de proches, un investissement dans la maison Façonnable ; Deux yachts estimés à 100 et 125 millions de dollars, attribués respectivement à Nagib et Taha Mikati, ainsi que deux avions privés.
L’entrée au capital de Bank Audi
Des sources proches du CVPFL mentionnent auprès de L’OLJ une série de cas pouvant justifier les soupçons d'enrichissement illicite quant à l'acquisition d’une partie de ce patrimoine. Parmi ceux ci, figurent les modalités d’entrée des frères Mikati au capital de Bank Audi en 2010 : Afin de financer l’achat d’environ 11 % du capital (participation qui grimpera par la suite à 14 %) , les deux milliardaires ont bénéficié de 300 millions de dollars de crédits consentis par la banque elle-même.
« Le Code du commerce interdit l’acquisition de plus de 5 % du capital au moyen de prêts consentis par la société elle-même ou garantis par elle », commente un juriste libanais ayant suivi l’affaire. En outre, « le Code de la monnaie et du crédit (CMC) encadre strictement les prêts aux actionnaires et proscrit le nantissement d’actions acquises à crédit », détaille une autre source juridique, avant d’ajouter qu’une circulaire de la BDL interdit à une banque d’accorder un prêt destiné à acheter ses propres actions.
Or l’opération aurait bénéficié d’un traitement spécifique de la part de la BDL, gouvernée à l’époque par Riad Salamé, consistant notamment à ne pas consolider les participations des deux frères dans une seule et même entité, mais à les considérer comme deux entités distinctes, permettant potentiellement de contourner les plafonds et ratios réglementaires.
Contactée, une source bancaire liée à cette opération d’entrée au capital affirme que celle-ci s’était déroulée conformément aux règles et aux lois en vigueur, et que la BDL avait « supervisé l’ensemble du processus conformément au CMC ».
« Il s’agit d’une affaire ancienne, déjà examinée en détail par les médias locaux, et qu’il a été établi qu’aucun soupçon n’y était attaché, poursuit cette source.
Avant son départ à la retraite, la procureure du Mont-Liban, Ghada Aoun, avait demandé l’ouverture d’une nouvelle information et une demande de poursuites au Liban visant Riad Salamé, Nagib Mikati et son frère au sujet de cette opération.
Abus de fonctions ?
Plus largement, les plaignants pointent du doigt certains faits remontant à l’origine de l’accumulation de la fortune du clan, estimant que la justice devrait se pencher sur d’éventuels octrois irréguliers d’avantages et sur de possibles abus de fonction, au regard notamment des nombreux portefeuilles ministériels et du rôle politique de Nagib Mikati.
En 1994, alors que le Liban était sous occupation syrienne, deux sociétés de télécommunications - LibanCell et Cellis - dans lesquelles Nagib et Taha Mikati, réputés proches de Damas, étaient actionnaires se sont vu attribuer des licences à travers des contrats BOT de 10 ans. Bénéficiant d’une position oligopolistique, ces deux opérateurs ont fait l’objet, cinq ans plus tard, d’accusations de sous-déclaration privant le Trésor de centaines de millions de dollars, poussant le gouvernement à leur imposer une amende cumulée de 600 millions de dollars, contestée par les sociétés. Suite à l’intervention du président de la République et du Premier ministre de l’époque, Émile Lahoud et Rafic Hariri, un accord a été signé selon lequel ces amendes seraient soumis à un arbitrage international tandis que le gouvernement libanais devait s'acquitter d’une indemnité de plus de 100 millions de dollars.
Des soupçons analogues entourent l’attribution au début des années 2000 de l’une des deux sociétés de télécommunications du pays (Investcom) par le régime de Bachar el-Assad.
Par ailleurs, dans le prolongement d’investigations visant d’autres personnalités, la justice du Liechtenstein a sollicité en juin 2022 l’entraide judiciaire du Liban dans le cadre d’une enquête pour blanchiment visant Riad Salamé.
Elle y mentionne un accord daté de janvier 2016 entre une société détenue par M. Salamé en Suisse et une autre liée à M. Mikati (M1) ; en vertu de cet accord, Taha Mikati a transféré, en août 2016, 14 millions de dollars vers le compte d’une société enregistrée au Liechtenstein et disposant d’un compte en Suisse.
Enfin, les plaignants mentionnent le recours à des sociétés écrans, à des paradis fiscaux et à des investissements dans des secteurs peu réglementés de pays en conflit comme autant de moyens potentiels de blanchiment d’argent. Suite aux révélations successives des « Panama Papers » (en 2016) et des « Pandora Papers » (2021) sur l'utilisation d’une société d’investissement basée au Panama pour acquérir une propriété à Monaco, M. Mikati s’était défendu de toute fraude.
Si L’OLJ n’a pas été en mesure de joindre dans l’immédiat l’ancien Premier ministre, l’un de ses proches dénonce une campagne orchestrée contre lui. « Il s’agit d’une entreprise de dénigrement et d’intox », avance-t-il, avant de menacer d’engager des poursuites, au Liban et à l’étranger, contre les auteurs et financeurs de ce qu’il considère comme une « campagne malveillante ».
Et d’insister : « ni la famille ni le groupe d’entreprises familial n’ont été condamnés dans quelque affaire que ce soit, au Liban ou ailleurs, ce qui témoigne de leur respect des lois et de leurs principes éthiques élevés. »
En février 2022, le premier juge d’instruction de Beyrouth Charbel Abou Samra avait prononcé un non-lieu dans l’affaire dite des “prêts subventionnés” de la BDL, dans laquelle Ghada Aoun avait engagé des poursuites contre Nagib Mikati, son frère Taha, et son fils Maher. Le juge avait estimé ces faits prescrits, à travers une interprétation contestée par plusieurs associations telles que Legal Agenda. En août 2023, le tribunal de Monaco a également abandonné les poursuites pour « enrichissement illicite » et « blanchiment », faute de preuves suffisantes.
« Face aux tentatives des parrains du système de saper le processus engagé par des responsables publics courageux, cette décision apporte un surcroît d’espoir au peuple libanais », se réjouit de son côté Me Bourdon. « Il s’agit incontestablement d’un signal fort, d’autant que c’est exactement comme cela qu’a commencé la chute de Riad Salamé : d’abord par la saisine du PNF en 2021, puis l’extension des investigations à l’échelle européenne puis internationale, et, enfin, la notice rouge d’Interpol », se réjouit-on du côté du CVPFL.
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