Maroc-Algérie : Comment la Russie pourrait passer de médiateur potentiel à fauteur de troubles.
Publié le 13 juillet 2025
Photo d'illustration © El Mahdi Oudghiri
Après avoir affiché sa volonté d’agir en tant que médiateur dans le conflit du Sahara – et donc, dans le différend opposant le Maroc à l’Algérie – la Russie semble désormais glisser vers un rôle plus préoccupant dans la région. Dans un contexte de recomposition géopolitique mondiale, Moscou se rapproche dangereusement d’Alger, au risque d’alimenter une tension militaire inédite dans l’ouest de la Méditerranée.
Le 14 janvier dernier à Moscou, Sergueï Lavrov mettait en avant la volonté de la Russie de soutenir le Maroc dans la résolution des défis auxquels il fait face, y compris en matière de politique étrangère. Il avait souligné que les diplomaties des deux pays avaient «de bons plans», précisant que la Russie «aide les Marocains à résoudre les défis qui préoccupent le ministère des Affaires étrangères», en particulier la question du «Sahara occidental».
Cette avancée majeure avait été annoncée lors de la conférence de présentation des résultats de la diplomatie russe pour 2024, qui traçait la feuille de route pour l’année suivante. Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
Une bascule vers Alger de plus en plus palpable.
La position doplomatique de la Russie, longtemps perçue comme neutre sur la question du Sahara, semble avoir évolué au gré des évolutions géostratégiques. Une bascule en faveur d’Alger paraît aujourd’hui plus plausible que jamais.
Isolée par la guerre en Ukraine et confrontée à la possible perte de ses bases militaires en Syrie (Tartous et Hmeimim) à la suite de la chute de son allié Bachar al-Assad, la Russie pourrait voir en l’Algérie un atout stratégique majeur pour maintenir une position en Méditerranée.
Avec l’instabilité chronique en Libye, où Moscou soutient le général Haftar, et au Sahel, devenu un terrain de chasse des groupes paramilitaires Wagner et Africa Corps, l’Algérie apparaît comme un relais logistique stable.
Allié de longue date (depuis l’époque de la Guerre froide), le voisin de l’est s’équipe militairement à plus de 80% auprès de l’héritière de l’Union soviétique, les officiers algériens se forment encore en Russie, et les liens entre services secrets des deux pays demeurent solides, malgré le rejet à l’été 2023 de la candidature algérienne pour une adhésion aux BRICS.
En outre, la posture anti-occidentale d’Alger renforce son attractivité pour Moscou, qui pourrait y trouver un partenaire pour une coopération « contre-hégémonique » face à l’occident.
Un virage diplomatique à haut risque pour Moscou.
Avant l’accord tripartite Maroc-Etats-Unis-Israël, qui a ouvert la voie à des reconnaissances en cascade de la marocanité du Sahara, les deux pays maghrébins étaient hors des logiques de blocs. Dans ce contexte, Moscou qui a toujours eu des intérêts avec le Maroc, dont l’accord de pêche entre autres, choisissait de ménager celui-ci et maintenir un certain équilibre entre les deux pays maghrébins.
Mais, depuis 2020, l’Etat pivot de la Russie en Afrique du Nord et au sud de la Méditerranée a multiplié les actes d’hostilité envers son rival de l’ouest: rupture des relations diplomatiques, fermeture du gazoduc Maghreb Europe –malgré la volonté affiché du Maroc de le maintenir–, campagne de diffamation à coup de fake news et cyberattaques.
Certaines sources avancent qu’il s’agit d’une guerre hybride, avec des campagnes de désinformation orchestrées en coulisses par des experts russes avec à leur tête le général Sourovikine, missionné discrètement depuis 2023 pour intensifier le partenariat militaire avec l’Algérie.
Que fait Sourovikine au Maghreb ?
Le général d’armée Sergueï Vladimirovitch Sourovikine, ancien commandant des forces aérospatiales russes démis de ses fonctions après l’incident du groupe Wagner, est désormais à la tête des instructeurs militaires russes en Algérie. Sa mission consisterait, selon des analystes géopolitiques, à préparer les forces locales à un conflit contre le Maroc.
Selon le quotidien français Le Monde, cet ancien commandant des opérations sur le front ukrainien est affecté à l’ambassade russe à Alger pour renforcer la « diplomatie militaire » du Kremlin en Afrique du Nord.
Connu pour avoir été l’un des principaux architectes des campagnes russes en Syrie et en Ukraine, il est réputé pour sa brutalité et ses méthodes expéditives, d’où ses surnoms « le boucher d’Alep» et « Général Armageddon ».
Du point de vue de plusieurs analystes, « seul ce partenariat avec l’Algérie peut permettre à la Russie d’exister en Méditerranée. Pour ce faire, Moscou est prête à tout. Y compris utiliser Sourovikine pour rassurer Alger… contre son principal et seul adversaire potentiel qui n’est autre que le Maroc ! »
Un groupe d’instructeurs russes, commandés par le général Sourovikine, ne peut que préparer l’Algérie à un conflit étatique. Or, un tel conflit, actuellement, n’est envisageable qu’avec le Maroc… dont la Russie se dit partenaire, ajoutent les mêmes sources.
La guerre hybride de l’Algérie en marche
Du point de vue du spécialiste des questions stratégiques et militaires Abderrahmane Mekkaoui, l’Algérie a déjà commencé une guerre cognitive contre le Maroc. Dans un échange avec H24Info à propos du budget de défense 2025 et de la politique d’armement du Maroc, en octobre dernier, l’expert militaire avait alerté sur le fait que l’Algérie mène une guerre hybride contre le Maroc.
Quelques mois plus tard, depuis avril, le Maroc subit une vague de cyberattaques. Parmi les coupables, selon des sources concordantes, le groupe de hackers algériens Jabaroot, qui travaillerait sous l’égide de Keymous+, d’origine non identifiée, connu pour avoir coopéré avec les groupes de hackers pro-russes NoName057(16) et DarkStorm.
Le périmètre des missions des militaires russes en Algérie reste pour l’instant obscur. Mais l’offre de partenariat de la Russie pourrait se confronter au test de la réalité et aux sautes d’humeur d’un certain Saïd Chengriha habité par la haine de tout ce qui est marocain. Dans ce cas, soit elle déploiera son savoir-faire hybride contre le Maroc, soit elle décevra son partenaire algérien.
Cartes stratégiques gagnantes du Maroc
Loin du pessimisme des analyses géopolitiques anti-russes, Rabat, qui a maintenu pendant des décennies une diplomatie multilatéraliste tournée vers toutes les grandes puissances –en particulier celles du club du Sahara, y compris la Russie– est consciente que cette dernière pourrait utiliser la question du Sahara pour contrebalancer l’influence américaine, comme l’a si bien expliqué dans les colonnes de H24Info le politologue Abdelfattah El Fatihi.
Néanmoins, «la Russie d’aujourd’hui est consciente des opportunités qu’offre un partenariat avancé avec le Maroc, notamment en tant que porte d’entrée pour renforcer ses relations avec un espace africain stratégique, d’autant plus qu’on assiste à un engouement mondial pour l’Afrique de la part d’autres puissances comme les États-Unis, la France et la Chine», souligne de son côté le politologue Driss Lagrini dans une analyse.

A l’issue de la 6e édition du Forum de coopération Russie-Monde arabe, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita avait convenu avec son homologue russe d’accélérer la cadence de la coopération bilatérale, notamment, dans les domaines de l’énergie, les mines, l’agriculture ou encore la pêche.
Dans ce sillage et en fonction de l’évolution de la situation, le Maroc pourrait activer l’option des réacteurs nucléaires russes approuvée en octobre 2022 par le Kremlin.
L’autre atout majeur est le développement du port Dakhla Atlantique qui n’échappe pas aux radars des puissances économiques orientales. Selon une étude intitulée «La route maritime du nord et le corridor transcontinental: une vision stratégique pour relier la Russie, la Chine et l’Afrique», présenté lors du dialogue public sur «L’avenir de l’économie mondiale» organisé du 28 au 30 avril dernier à Moscou, ce projet pharaonique s’impose comme la pierre angulaire d’un corridor transcontinental inédit, articulé autour de la Route maritime du Nord (RMN).
La Russie face à ses contradictions diplomatiques.
Ce projet russo-chinois constitue une alternative complémentaire de la Route de la soie et une voie de secours au vu des tensions que traversent les routes maritimes classiques, notamment via le Canal de Suez.
Un partenariat avec le Maroc pourrait garantir à la Russie un moyen de contourner les difficultés du pourtour méditerranéen et avoir un pied dans l’Atlantique ainsi qu’une porte d’entrée au Sahel grâce à l’Initiative atlantique lancée par le Roi Mohammed VI.
Le Kremlin marche donc sur une ligne de crête diplomatique: satisfaire les attentes stratégiques de l’Algérie sans compromettre sa coopération avec le Maroc. Or, en misant sur des généraux comme Sourovikine et en tolérant une guerre hybride contre Rabat,
Moscou pourrait franchir un point de non-retour.
Le Maghreb, longtemps resté en marge des grands conflits mondiaux, pourrait à son tour être entraîné dans les turbulences d’une nouvelle guerre froide.
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