Tom Barrack, ou comment déstabiliser le Liban

Tom Barrack, ou comment déstabiliser le Liban.

Le salut du Liban ne tient qu'à un fil. Pour préserver sa souveraineté et se soustraire aux influences extérieures, le Liban doit faire bloc en faveur de la résistance.



Publié le 10 juillet 2025

Washington a envoyé à Beyrouth un milliardaire libano-américain pour forcer le Hezbollah à déposer les armes et démanteler le dernier pilier de l'Axe de la résistance. 
Le prix à payer ? 
Une soumission totale, sans aucune contrepartie.
“Il y a un siècle, l'Occident a imposé des cartes, des mandats, des frontières tracées à main levée et une domination étrangère. Le pacte Sykes-Picot a divisé la Syrie et l'ensemble de la région pour servir les intérêts impériaux, et non pour instaurer la paix. 

Cette erreur a coûté cher à des générations entières. 
Nous ne la reproduirons pas”.

— Tom Barrack, ambassadeur des États-Unis en Turquie et envoyé spécial en Syrie

Lorsque l'envoyé américain en Turquie et en Syrie, Tom Barrack, a fait cette déclaration le mois dernier à Ankara, cela sous-entendait que Washington allait rejeter les frontières de l'ère coloniale imposées au Levant par la Grande-Bretagne et la France. Mais le sens réel des propos de Barrack était bien plus insidieux : l'accord Sykes-Picot est peut-être mort, mais les États-Unis ont désormais l'intention de redessiner les frontières de la région dans un seul but : l'expansionnisme israélien.

L'agenda de l'envoyé américain : redessiner la région en démantelant la résistance
Le sort du Liban reste étroitement lié à celui de la Syrie et de la Palestine occupée. Toute résolution imposée au soi-disant conflit israélo-palestinien aura inévitablement des répercussions à Damas et à Beyrouth, obligeant leurs gouvernements à faire des choix existentiels. 
L'une d'entre elles repose sur la destruction forcée des armes et des capacités, une exigence ancrée dans la stratégie menée par les États-Unis pour reconfigurer l'équilibre des pouvoirs dans la région.

C'est là qu'entre en scène Barrack, le milliardaire libano-américain et proche conseiller du président américain Donald Trump, désormais reconduit dans ses fonctions d'envoyé spécial au Liban et en Syrie. Il s'est depuis positionné comme le principal défenseur de l'intégration de la Syrie et du Liban dans les accords d'Abraham, un euphémisme pour désigner la normalisation des relations avec l'État occupant.

Barrack a rencontré aujourd'hui de hauts responsables à Beyrouth, où il devait faire valoir cette reconfiguration politique sous le masque trompeur de la paix régionale.
Pression maximale & épée de Damoclès

Le Liban est en première ligne d'une campagne américano-israélienne visant à tout prix à désarmer le Hezbollah dans les mois qui viennent. L'escalade n'est pas une réaction à la dynamique locale, mais plutôt une conséquence des échecs régionaux de Washington : du bourbier ukrainien à son incapacité à neutraliser l'Iran ou encore mettre un frein aux crimes de guerre d'Israël à Gaza.

N'ayant rien de substantiel à offrir, les États-Unis recourent à la coercition pour forcer la main aux dirigeants. Les menaces militaires israéliennes opèrent comme un levier brutal pour forcer la main aux responsables libanais en vue de signer le désarmement de la Résistance – un fantasme que les États-Unis poursuivent désormais avec acharnement.

Trump, qui cherche à intensifier sa marque, mise sur un pari risqué en matière de politique étrangère : forcer le Liban, dernier État arabe levantin encore lié à l'Axe de la résistance, à se rendre et briser son dernier bastion défensif contre l'expansion israélienne.
À nouveau type d’envoyé, nouveau type de menace

La mission de Barrack s'écarte du scénario suivi par les précédents envoyés américains qui, malgré l'ampleur de leur ingérence, prenaient au sérieux la fragilité du Liban. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Barrack, également ambassadeur des États-Unis en Turquie et envoyé en Syrie, représente une nouvelle génération d'agents impériaux, indifférents aux divisions sectaires ou aux conflits civils.

Washington estime désormais que le Hezbollah est vulnérable. Le plan consiste à l'écraser politiquement et, si nécessaire, militairement, même si cela implique d'armer l'armée libanaise contre ses propres citoyens. L'administration Trump a clairement indiqué être prête à sacrifier la stabilité du Liban au profit de l'hégémonie américano-israélienne.

Selon un responsable libanais cité par l'agence Anadolu, Barrack a remis à Beyrouth en juin une proposition de cinq pages axée sur trois objectifs principaux. Le premier est de s'assurer du contrôle de la totalité des armes par l'État libanais. Le deuxième consiste à mettre en œuvre des réformes fiscales et économiques, notamment un renforcement le contrôle aux frontières, la lutte contre la contrebande et l'augmentation des recettes douanières. Le troisième prévoit une reconfiguration des relations avec la Syrie par la délimitation des frontières et l'expansion du commerce.

Le document ne précise pas de calendrier, mais une telle pression étasunienne implique qu'une mise en œuvre complète est attendue d'ici la fin de l'année. Selon le responsable, le Liban est en train d'élaborer une réponse unifiée sur la base de la déclaration ministérielle et du discours inaugural du président Joseph Aoun.

Mais Beyrouth a ses propres exigences, notamment la fin des violations israéliennes, le retrait complet des territoires occupés et, en la mise en œuvre des initiatives de reconstruction dans le sud.

Pour l'instant, la position officielle du Hezbollah n'a pas été rendue publique. Sa réponse devrait être connue dans les prochains jours, lors du retour de Barrack à Beyrouth.

Après avoir rencontré aujourd'hui à Beyrouth le président Aoun, le Premier ministre Nawaf Salam et le président du Parlement Nabih Berri, Barrack a déclaré être “satisfait” de la réponse des autorités libanaises à l'appel urgent de Washington en vue du désarmement du Hezbollah. Il a d'ailleurs averti que le Liban “sera ostracisé” s'il ne s'aligne pas sur les changements régionaux en cours. Barack a également déclaré que

“le Hezbollah est un parti politique, qui dispose toutefois d'une branche armée. Le Hezbollah doit comprendre qu'il a un avenir, que ces mesures ne s'adressent pas exclusivement à lui et qu'il peut également contribuer à la paix et à la prospérité”.
Des promesses creuses, aucune évacuation israélienne

Durant sa dernière visite, Barrack a rencontré les trois plus hauts responsables libanais pour leur présenter un plan de désarmement progressif, structuré selon des critères chronologiques et géographiques. Il a laissé entendre que les États-Unis pourraient faire pression sur Tel-Aviv pour qu'il évacue les territoires récemment occupés. Mais lorsqu'on lui a demandé des précisions, il a admis ne pas pouvoir garantir qu'Israël mette fin à son agression.

Ce n'est pas un accord de paix. C'est un ultimatum.

L'action de Barrack marque l'aboutissement d'une campagne menée depuis des décennies pour démanteler le front anti-impérialiste de la région. Avec l'Égypte et la Jordanie depuis longtemps cooptées, l'ère baasiste en Syrie vidée de sa substance et les factions irakiennes fragmentées, à l'exception de l'armée yéménite alignée sur Ansarallah, le Hezbollah reste la dernière force armée capable de dissuader Israël de poursuivre son expansion.

Washington et Tel-Aviv savent. 
Le désarmement du Hezbollah ouvre la voie à une normalisation diplomatique non seulement avec Beyrouth, mais aussi avec le soi-disant gouvernement intérimaire syrien dirigé par le président de facto Ahmad al-Sharaa, ancien chef de l'État islamique connu sous le nom de guerre Abu Mohammad al-Julani, qui se rapproche de la normalisation avec Tel-Aviv.

Capitulation sans réparation

Les États-Unis exigent tout et n'offrent rien. Aucune garantie de retrait israélien. Aucune libération de prisonniers. Pas de fin aux frappes aériennes ou aux assassinats. Pas même des armes pour l'armée libanaise ou des fonds pour la reconstruction.

Washington continue plutôt de paralyser l'armée en bloquant les transferts d'armes et en confisquant les stocks, consolidant ainsi sa soumission.

La prétendue solution de Barak n'est qu'un piège. Elle ne fait en réalité que priver davantage le Liban de sa souveraineté, inciter Israël à multiplier les frappes dans le sud, la Bekaa et même à Beyrouth, et provoquer l'éclatement du pays sous couvert de réforme nationale.

Certaines factions nationales se réappropriant les arguments américains et israéliens, la menace n'est plus seulement étrangère. Les éléments libanais de droite soutenus par l'Occident gagnent du terrain, adoptant ouvertement le discours de Tel-Aviv sur les armes de la résistance. Ces coalitions pourraient bientôt œuvrer de concert avec l'État d'occupation et devenir des agents internes de déstabilisation.

Par ailleurs, la proposition ignore la question des réfugiés palestiniens, omet les mécanismes de sécurité aux frontières et n'offre aucun moyen de contrer les incursions israéliennes. Elle prépare plutôt le terrain pour une partition sectaire et sécuritaire du Liban.
Diviser pour mieux régner : un désarmement par étapes

La stratégie de Washington est limpide. Elle cherche à isoler et à désarmer les factions de la résistance les unes après les autres. Le mois dernier, la pression s'est concentrée sur les groupes palestiniens. Aujourd'hui, c'est le tour du Hezbollah. 

L'objectif est d'empêcher la formation d'un front uni en brisant la solidarité entre les différentes factions et en éliminant les cibles une à une.

Si ces pressions ne sont pas enrayées et neutralisées, les risques sont existentiels. Une offensive majeure israélienne contre le Liban ou un conflit civil orchestré sont à craindre. De plus, des groupes extrémistes refont surface en Syrie sous les auspices de Sharaa, un homme prêt à tout pour satisfaire Washington et Tel-Aviv.

Le Hezbollah et ses soutiens sont confrontés à un choix cornélien. Ils devront soit se soumettre aux diktats étrangers, soit durcir leurs positions et refuser toute discussion sur les armes tant que les menaces perdurent.

C'est sans doute la menace la plus redoutable pour la nation libanaise au terme de la guerre. Alors que les États-Unis ont abandonné toute prétention de neutralité et prônent ouvertement une nouvelle donne régionale, le pays est confronté à un choix binaire : résister ou être démantelé.

Le salut du Liban ne tient qu'à un fil. 
Pour préserver sa souveraineté et se soustraire aux influences extérieures, le Liban doit faire bloc en faveur de la résistance.



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