Deux ans de génocide, deux ans de culpabilité depuis notre misérable exil.

Deux ans de génocide, deux ans de culpabilité depuis notre misérable exil.

Chaque fois que nous regardons les informations, nous remercions Dieu d’être encore en vie. 
Et chaque fois, nous le regrettons.


Les Palestiniens célèbrent le 3è jour de l’Aïd el-Adha dans un parc de Khan Younis, le 11 juillet 2022 (Photo © Mohammed Dahman/APA Images)

Publié le 16 octobre 2025


Quelques jours avant le début du génocide, j’ai obtenu un visa pour entrer au Royaume-Uni. J’étais ravi et très enthousiaste, car je prévoyais d’aller à Londres pour représenter Mondoweiss et faire part de mes récits. J’étais impatient de rencontrer certains de mes lecteurs et d’échanger avec le public qui me suit. 

La perspective de laisser brièvement ma femme, mon fils et ma mère âgée dans notre grande maison familiale me rassurait. Ils étaient entourés de leurs proches et je ne partirais pas plus de deux semaines.

Puis la guerre a éclaté et tout a changé. Les checkpoints ont été bouclés du jour au lendemain, et la principale préoccupation des habitants de Gaza s’est transformée en une lutte quotidienne pour la survie, en quête de provisions suffisantes en nourriture et en eau.

Dès le deuxième mois de la guerre, nous avons tous réalisé que ce conflit était complètement différent de tout ce que nous avions connu auparavant. Cette certitude s’est confirmée lorsque l’armée israélienne a insisté pour évacuer toute la moitié nord de Gaza, y compris notre maison.

Aujourd’hui, notre maison familiale, la fenêtre près de laquelle je me réveillais, les citronniers, les oliviers et les figuiers qui entouraient notre immeuble... tout cela a disparu.

Au début de la guerre, je ne pensais pas quitter Gaza. Les Palestiniens savent ce que signifie l’exil. Mais tout a changé lorsque ma mère est tombée malade. Elle a été hospitalisée et est morte peu après, car aucun traitement n’était disponible. Et pourtant, tout ce dont elle avait besoin était si banal : quelques compléments alimentaires et des médicaments auraient suffi à lui sauver la vie. J’ai parcouru toute la région, de Rafah à Khan Younis, pour tenter de les trouver. En vain.

Cette expérience m’a fait réfléchir : et si je m’avérais incapable de trouver de quoi nourrir mon fils demain ? Serais-je capable de le voir souffrir et mourir de faim sans rien faire, comme j’ai vu ma mère mourir de maladie ? Combien de temps pourrais-je supporter cette situation, jour après jour, jusqu’à ce tous ceux que j’aime disparaissent ? J’ai alors réalisé que nous allions devoir survivre.

Mon fils n’avait que quelques mois. Il n’avait rien fait pour mériter une telle épreuve. Pourquoi mon enfant et tous les enfants de Gaza subiraient-ils de telles souffrances ? L’emmener loin de sa patrie pour sa sécurité ne serait donc pas un crime, n’est-ce pas ? Ce ne serait pas une trahison envers notre patrie ?

Quitter Gaza a été la décision la plus éprouvante de mon existence. Après avoir surmonté de nombreuses épreuves, nous avons finalement réussi à obtenir un passage vers l’Égypte, où nous avons vécu un an et demi. L’exil s’est imposé, s’ancrant dans nos esprits et imprégnant chaque aspect de notre quotidien.

Mais ce n’est pas moi qui ai été le plus affecté par notre déplacement. C’est mon fils.

Chaque fois que je le regarde, je sais qu’il ne connaîtra plus jamais tout l’amour que nous avons dû laisser à Gaza.

Il a maintenant deux ans et demi et n’a jamais eu la chance de connaître son quartier ni de grandir avec ses cousins. 
Il n’a jamais couru dans la rue pour jouer avec les autres enfants. Il n’a jamais pu se promener avec moi au marché ou se joindre à la famille en visite. Même son premier anniversaire a été célébré loin de chez nous.

 J’avais prévu une grande fête, mais nous avons fini par la passer dans une maison abandonnée du camp de réfugiés de Yibna, dont les vitres étaient brisées, en plein hiver. 
Mon fils n’a pas d’amis. Il n’a pas pu se faire d’amis en exil avec qui jouer. Sa mère et moi sommes ses seuls amis, mon fils a été privé de son enfance.


Tareq Hajjaj et son fils Qais pour son premier, dans une maison abandonnée du camp de réfugiés d’Yibna, en décembre 2023. Photo © Tareq Hajjaj.

La culpabilité rend fou, même si c’était le prix à payer pour survivre. 
Mon enfant est désormais seul, alors qu’il était entouré d’une famille qui constituait tout son univers : tantes, oncles, cousins. 
Ses cousins plus âgés venaient jouer avec lui et ses jouets tous les jours. 

À présent, chaque fois que je le regarde, je sais qu’il ne connaîtra plus jamais l’amour que nous avons abandonné à Gaza.

Être contraint de quitter sa maison, ses frères et sœurs et d’innombrables êtres chers est une décision définitive insoutenable. Gaza est le seul lieu au monde où il aurait pu trouver cet amour, et nous l’avons quitté.

Aujourd’hui, je lui parle de Gaza et je lui montre les photos de notre foyer, où nous avons passé toute notre vie. Je lui montre photo après photo et je lui raconte une multitude d’histoires. Je lui dis : “Regarde, c’est Gaza ! 
C’est notre maison, notre terre. Nous y retournerons un jour”. J’essaie de ne pas lui montrer les images de destruction. Nous regardons les informations à la télévision tous les jours, et à chaque fois qu’un reportage est diffusé, le souvenir de Gaza et de ses environs resurgit.

Il a appris tous ces mots avec nous. Quand il voit des images de destruction à la télévision, il dit spontanément : “Gaza, Gaza, notre pays”. Mais je ne veux pas qu’il associe Gaza à un lieu de mort et de destruction. C’est le plus bel endroit du monde.

Je me suis souvent demandé si j’avais le droit de manger, alors que ma famille restée au pays ne disposait même pas d’un bout de pain.

Et pourtant, nous sommes les véritables héritiers de cette terre. 
Chaque fois que je découvre un nouveau pays, je sais que la terre dont nous avons été chassés est la plus extraordinaire et la plus ancienne au monde. 

C’est un endroit béni par la diversité géographique naturelle. 
Nous avons tout : des montagnes bordant la mer aux collines verdoyantes, en passant par d’épaisses forêts et des déserts à perte de vue.

Notre pays a tout pour être un pays libre. 
Le seul obstacle, c’est l’occupation israélienne.
Chaque fois que nous regardons les informations, nous remercions Dieu d’être encore en vie. 
Et chaque fois, nous le regrettons.



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