La Précarité, Défi Structurel du Maroc.

La Précarité, Défi Structurel du Maroc.

Malgré une croissance modeste en 2024 et des indicateurs macro favorables, la précarité ronge la classe moyenne, les travailleurs et les personnes vulnérables, freinant la promesse d’un développement inclusif

La précarité s’impose aujourd’hui comme l’un des défis majeurs du Maroc contemporain. Elle ne se limite plus aux marges sociales, mais s’étend désormais au cœur même de la classe moyenne, longtemps perçue comme pilier de la stabilité nationale. C’est un mal diffus, insidieux, qui fragilise les foyers, érode la confiance collective et menace la cohésion du pays. Comme une fissure invisible, elle traverse tous les milieux, révélant les limites d’un modèle économique en quête d’équilibre entre croissance et justice sociale.

Sur le plan macroéconomique, le Maroc affiche certains signes de résilience. Le FMI prévoit une croissance du PIB de 2,8 % en 2024, contre environ 3,4 % en 2023. L’inflation globale est estimée à 1,7 %, un niveau modéré par rapport à la flambée des années précédentes, et le ratio dette/PIB s’établit autour de 68,7 %, légèrement en baisse. Ces chiffres, témoignent d’une gestion budgétaire prudente et d’une certaine stabilité macroéconomique.

Mais cette stabilité apparente masque des fractures profondes. Le chômage a atteint 13,4 % de la population active en 2024, avec des taux alarmants chez les jeunes (36,7 %) et chez les femmes (25,9 %). Le secteur agricole, frappé par une sécheresse persistante, s’est contracté, tandis que les emplois industriels et les services informels absorbent difficilement la main-d’œuvre excédentaire.

Dans ce contexte, la précarité s’invite dans les foyers des enseignants, des jeunes diplômés, des fonctionnaires et des ouvriers, qui peinent à mener une vie digne malgré leur travail quotidien. Les salaires stagnent, les loyers explosent, les crédits s’accumulent. Le travail, jadis synonyme de sécurité, ne garantit plus la stabilité. Travailler ne suffit plus à vivre correctement : c’est la nouvelle équation sociale du Maroc moderne.

La demande intérieure a certes soutenu la croissance, mais elle reste tirée par la consommation contrainte et non par une réelle amélioration du pouvoir d’achat. Le coût de la vie, la rareté des logements abordables pèsent sur les ménages urbains. Dans les grandes villes, la classe moyenne, jadis moteur de la modernité et de l’éducation, s’effrite lentement. Derrière la façade d’un confort relatif, beaucoup vivent dans une anxiété permanente : un seul choc, perte d’emploi, maladie, accident, suffit à tout déséquilibrer.

La précarité sanitaire, miroir d’un déséquilibre social

À cette précarité économique s’ajoute désormais une précarité sanitaire grandissante, reflet d’un système de santé encore trop inégal. Malgré les réformes ambitieuses engagées depuis la généralisation de la couverture médicale (AMO) et la mise en œuvre du Registre social unifié, l’accès aux soins reste profondément inégal entre les territoires et les classes sociales.

Les chiffres du ministère de la Santé sont éloquents : plus de 40 % des Marocains vivant en zones rurales doivent parcourir plusieurs kilomètres pour accéder à une structure de soins. Dans de nombreuses provinces, les hôpitaux publics souffrent d’un manque criant de personnel, d’équipements et de médicaments essentiels. Pendant ce temps, les cliniques privées, concentrées dans les grands centres urbains, deviennent inaccessibles pour la majorité des citoyens.

Le fossé sanitaire devient alors un révélateur brutal de la fracture sociale. Les familles modestes retardent les consultations par manque de moyens, accumulant les souffrances et aggravant les maladies. Les classes moyennes, quant à elles, s’endettent pour financer des soins coûteux, souvent dans le secteur privé, faute d’alternative publique efficace. Ce double fardeau économique et sanitaire accentue la perte de confiance envers l’État et nourrit un sentiment d’injustice.

La pandémie de Covid-19 avait pourtant ouvert une brèche d’espoir, en plaçant la santé publique au cœur des priorités nationales. Mais la reprise post-crise n’a pas permis d’ancrer durablement les réformes. L’absence de médecins dans les régions enclavées, la surcharge des urgences urbaines et le manque de coordination entre les niveaux de soins traduisent une fragilité structurelle qui pénalise les plus vulnérables.

Une équation nationale à repenser

La précarité économique et sanitaire forme désormais un couple indissociable. L’une alimente l’autre : le manque de revenus limite l’accès aux soins, tandis que la maladie ou l’absence de couverture efficace replonge les ménages dans la pauvreté. Ce cercle vicieux freine la productivité nationale, affaiblit la cohésion sociale et mine la confiance dans le projet collectif de développement humain.

Face à ce constat, les politiques publiques doivent aller au-delà de la simple stabilisation macroéconomique. Il s’agit de rétablir un lien tangible entre croissance et dignité. Cela passe par une revalorisation réelle des salaires, une régulation du marché du logement, un renforcement des filets sociaux et une refonte ambitieuse du système de santé public.

Le Maroc dispose des leviers nécessaires : une jeunesse nombreuse, un État réformateur, des infrastructures en expansion et une volonté politique affichée. Mais sans une redistribution équitable et une protection sociale réellement universelle, ces acquis resteront partiels.

Pour une cohésion sociale durable

La lutte contre la précarité ne se réduit pas à une question économique. Elle engage la stabilité du pays et la confiance des citoyens dans leurs institutions. Elle exige une approche globale où le développement humain, la santé, l’emploi et la justice sociale s’articulent comme les piliers d’un même édifice.

Les initiatives de solidarité nationale, les actions de la société civile et les efforts gouvernementaux doivent converger vers un objectif unique : reconstruire un pacte social fondé sur la dignité et l’égalité des chances. La précarité n’est pas une fatalité, mais un défi collectif à surmonter.

Le Maroc, fort de son énergie et de son ambition, ne peut se permettre de laisser s’enraciner cette fragilité invisible. Redonner espoir à ceux qui travaillent sans parvenir à s’en sortir, protéger les plus vulnérables et garantir à chaque citoyen un accès équitable aux soins et aux opportunités : voilà les véritables marqueurs d’un développement humain durable.

La bataille contre la précarité, qu’elle soit économique ou sanitaire, est avant tout une bataille morale et nationale. C’est celle de la dignité retrouvée, du progrès partagé et de la confiance restaurée dans l’avenir du Royaume.

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