Un Royaume entre tradition et modernité.



Un Royaume entre tradition et modernité.

L’ « exception » marocaine
Le Maroc est souvent présenté comme un espace à part au sein du Maghreb. 
Si le tourisme lui offre devises et rayonnement international, il tend aussi à occulter la richesse culturelle et la réalité contemporaine du pays – y compris s’agissant des réels défis qu’il se doit de relever. 

Pour Pierre Vermeren, maître de conférences à l’université de Paris-I, » ce pays questionne davantage qu’il ne laisse indifférent ».
Au-delà des idées-reçues, le Maroc a su mieux réagir que ses voisins au choc du « Printemps arabe » et semble s’accommoder de la présence d’islamistes au sein de son gouvernement. Pour autant, cette stabilité politique ne doit pas masquer les problèmes importants qu’a à relever le royaume, à commencer par la question sociale et celle des Provinces du Sud.
Trait d’union entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc se positionne en partenaire privilégié avec le Nord. 

 Le « nouveau monde méditerranéen » (Jean-Louis Guigou) devra compter avec le dynamisme du royaume alaouite.
En arabe, le Maroc signifie le pays du « couchant extrême » (Al-Maghrib el Aqsa), soit l’Occident du monde arabe. La désignation française dérive quant à elle de la prononciation du nom de la ville de Marrakech. Employé dès le XVe siècle sous la dynastie des Saadiens, le terme « Maroc » est là pour rappeler que le royaume est le fruit d’une longue et riche histoire. Le pays repose en effet sur une identité culturelle et politique multiséculaire. Fort de ses racines, il s’est lancé dans un vaste mouvement de modernisation, d’abord amorcé par Hassan II et aujourd’hui poursuivi par son fils, Mohammed VI.

Aux sources de l’exception marocaine.

 

« Il est rare que les Français émettent une opinion balancée sur le Maroc ou sur son roi. Le pays est présenté sans nuances en terre d’opulence ou en terre de misère, et son roi caricaturé en autocrate dispendieux ou en ami des arts et des lettres », observe Pierre Vermeren.
Et pourtant ! « Rares sont les États ayant une profondeur historique comparable à celle du Maroc.

À titre de comparaison, quand, en 937, Hugues Capet est élu roi de France, la monarchie marocaine à déjà 199 ans d’existence », rappelle l’africaniste Bernard Lugan. « La Nation marocaine repose sur trois grands principes traduits dans la devise : Dieu, Patrie, Roi. Ce qui distingue le Maroc de tous les autres pays musulmans, c’est la présence à sa tête d’un Commandeur des Croyants.

Le roi Mohammed VI dont la famille règne sur le pays depuis 1640 est en effet un descendant direct du Prophète Mohammed. »
Le pouvoir est d’essence divine. Le roi est légitime à exercer ses fonctions en vertu d’une délégation de pouvoir.
À l’instar du lien qui unit le Prophète et ses disciples, cette délégation correspond en droit coranique à une alliance entre Dieu et les hommes. « Aux yeux des Marocains, elle a autant d’importance que celle qu’avait le sacre de Reims pour la monarchie française », analyse encore Bernard Lugan.
Le pouvoir légal découle d’un lien d’allégeance – la Beia – qui unit « le chef de la communauté et ses sujets, soit directement, soit par l’intermédiaire des chefs traditionnels ».

Dès lors, les actions du roi peuvent être à la rigueur critiquées, mais sa légitimité jamais remise en cause. Cet élément est une clé centrale de compréhension de la vie politique marocaine et explique en partie la préservation du royaume des troubles qui agitent le monde arabe.
Le Maroc bénéficie d’une géographie avantageuse.
À la fois « carrefour géographique, historique, culturel et même civilisationnel, le Maroc constitue un exemple unique en Afrique du Nord car il est limité par de véritables frontières géographiques naturelles qui en font un tout original et cohérent : au nord, la Méditerranée ; à l’ouest, l’Atlantique ; à l’est, la steppe puis le désert et, au sud, la mer de sable ou de cailloux, désert minéral, océan de terres le séparant de l’Afrique noire avec laquelle il n’a aucun point commun », décrit Lugan. Depuis des siècles, cette géographie offre un espace politique relativement stable, propice à l’émergence d’une identité commune malgré une population aux origines diverses. En effet, « la population marocaine est d’origine berbère, ou arabe. […]
Avant l’islamisation, les tribus berbères n’ont jamais été unies. […] L’histoire du Maroc débuta avec l’islamisation qui, en plus de permettre la création d’un noyau d’État, introduisit la langue arabe. […] Si le Maroc fut rapidement islamisé, il ne fut cependant que tardivement arabisé et nous sommes là encore en présence d’une grande caractéristique marocaine », synthétise Bernard Lugan. « Au-delà des querelles de chiffres, il est raisonnable d’estimer que les berbérophones pourraient représenter environ 35 à 40 % de la population du Maroc » (cf.CLÉS n°72, 14/06/2012). Suite au « Printemps arabe » de 2011, le Maroc a modifié sa Constitution pour faire de la langue Tamazight une langue officielle, en tant que patrimoine commun à tous les Marocains.

Mais surtout, la dynastie dont est issue Mohammed VI – ou « M6 » comme on l’appelle couramment au Maroc – est le fruit d’un mariage mixte arabo-berbère. Où la figure royale fait également figure d’unité du peuple marocain.

Un Maroc en pleine transformation

Le pays a su anticiper les profondes mutations à l’oeuvre dans le pourtour du Sudméditerranéen pour éviter la remise en cause, voire l’explosion, du régime par les classes moyennes éduquées. Préparée par Hassan II, « l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI en 1999 a permis une modernisation du pays : de grands projets d’infrastructures, le lancement du port Tanger Med, l’implantation de grandes activités industrielles notamment avec l’aide des étrangers (Renault à Tanger par exemple), sur le plan des relations avec l’Europe une attitude ouverte qui s’est traduite par l’octroi du ‘statut avancé’ qui, à son tour, renforce l’attractivité du pays aux yeux des Européens », constate Jean-Louis Guigou, délégué général de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen. La décennie 2000 est aussi celle de l’ouverture du pays au tourisme de masse, jusqu’alors réfréné par Hassan II qui craignait qu’il ne pervertisse le peuple marocain. Cette modernisation s’est accompagnée de réformes à caractère social et politique.

Ainsi, le nouveau Code de la famille (Moudawana) de 2004 a substantiellement amélioré le statut des femmes en autorisant le mariage sans le consentement des parents ou en limitant la polygamie. En 2011, le roi a répondu aux vagues de manifestations dans les principales villes du royaume par la promulgation d’une réforme constitutionnelle. Des élections législatives sont organisées dès le mois de novembre 2011 et introduisent un chef de gouvernement aux prérogatives élargies. C’est aussi l’occasion pour les « islamistes modérés » du Parti de la Justice et du Développement d’accéder au pouvoir.
À ce stade, plusieurs remarques s’imposent. « En dépit du référendum le pouvoir du palais reste, dans les faits, largement supérieur à celui du gouvernement », analyse Jean-Louis Guigou. Pour la revue Moyen-Orient, deux grandes évolutions sont dès lors possibles. Soit le gouvernement avance « résolument sur quelques dossiers significatifs, ce qui implique nécessairement sa montée en puissance » et un rééquilibrage du partage du pouvoir entre le roi et le chef du gouvernement. Soit « son échec affaiblirait le régime tout en consolidant paradoxalement, et probablement sans qu’elle le souhaite, le primat de la monarchie ».

Dans cette seconde hypothèse, « il faudrait alors imaginer une autre solution à la dialectique de la stabilité et des réformes ». Comme l’affirme Emmanuel Todd, « il y a une monarchie, et l’évolution qu’on peut souhaiter […], compte tenu du caractère inéluctable de la démocratisation, c’est l’évolution vers une monarchie constitutionnelle » (cf. CLÉS n°37, 10/2011). Encore faut-il pour cela régler le contentieux du conflit du Sahara, qui compromet les relations de voisinage, à commencer par celles avec l’Algérie, et répondre aux défis du pays.

Demain : quels défis ?

Les évolutions économiques et sociales de ces dernières décennies sont porteuses de promesses. Entre 2005 et 2010, la croissance a été en moyenne de 4,5 % et l’investissement a culminé à 35 % du PIB. Singulièrement, ce dynamisme est la résultante d’une consommation intérieure, indice d’un développement pérenne. La politique de libéralisation menée depuis une trentaine d’années a permis l’augmentation des exportations de phosphate, de textile et de matériels de transport. Cependant, la situation reste précaire. La réforme des secteurs financier et surtout bancaire doit être impérativement approfondie, tout comme la mise en place d’une politique énergétique novatrice pour répondre à une demande exponentielle. Dépourvu de gaz et de pétrole, le Maroc est dépendant énergétiquement de l’étranger. Souvent en partenariat avec l’Europe, le royaume développe des projets éco-énergétiques. Ainsi en va-t-il de l’énergie éolienne ou du projet Desertec qui ambitionne de créer des centrales solaires thermiques.
De même dans la valorisation des importantes ressources halieutiques avec le plan Halieutis 2020.
Le principal défi reste le chômage et la pauvreté. En dépit de plusieurs programmes sociaux, la crise de 2008 complique la donne. D’autant que, comme le souligne la revue Moyen-Orient, « la crise de la zone euro a obligé le royaume à revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour 2012 ». Une autre illustration de l’interdépendance induite par la mondialisation. Dans ce contexte, la résolution de la « crise du Sahara occidental » est primordiale.

Elle est le prélude à une convergence économique du « petit Maghreb » (Maroc, Algérie, Tunisie) dont Rabat a bien besoin pour relancer sa croissance. Sur fond de crise mauritanienne, la récente islamisation d’une frange importante du Polisario constitue une menace pour l’ensemble de la région. Elle pourrait inciter Alger à cesser de soutenir cette organisation. Et permettre ainsi de rétablir un dialogue serein entre l’Algérie et le Maroc.

Bendriss Chahid

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